Le miroir aux alouettes

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Cette expression prend sa source dans la chasse. C’est un type de piège qu’utilisaient les chasseurs pour piéger les oiseaux. Le piège, un morceau de bois en forme d’oiseau, était constellé de petits morceaux d’un miroir, en agitant ces objets, les chasseurs attiraient de nombreux oiseaux, qu’ils n’avaient alors plus qu’à attraper au filet. La raison de cette attirance est simple : certaines espèces d’oiseaux, parmi lesquels l’alouette, ont une sensibilité inhabituelle à la lumière. Leur œil, alors attiré par ces rayons multiples, les emmène droit dans le piège des chasseurs. Triste fin pour l’oiseau chanteur.  Le miroir aux alouettes est un piège qui vous amène à un endroit où vous ne voulez pas être. Cela signifie donc que vous vous êtes fait berner.

Les discutions, sur le vin, mais aussi dans bien des domaines, sont très souvent un miroir aux alouettes. Au lieu de réfléchir avec l’autre, on est persuadé d’avoir quelque chose à défendre. Nous n’avons pas appris à nous tromper et nous sommes souvent incapables d’examiner nos propos d’un autre point de vue, d’en comprendre la limite ou de les remettre en question. Nous ne percevons pas l’objection comme une occasion de réfléchir mais comme une attaque et au lieu de mettre notre intelligence en action, c’est avec peur ou colère que nous réagissons. Pour bien penser, il faut commencer par se tromper. Descartes disait que c’est notre amour de la vérité qui nous trompe, par précipitation.

Tout cela pour dire qu’il a quelques années, je ne citais pas Alain Chabanon parmi les meilleurs vignerons du Languedoc, et j’avais tort. Alain Chabanon est un vigneron anticonformiste, exigeant et réservé. Il a fait ses classes chez Alain Brumont (château Montus), avant d’installer sa cave près de Montpeyroux (Laganas), en 1992. Son travail est remarquable, tant à la vigne qu’en cave (jusqu’à 36 mois d’élevage). C’est un vigneron qui réfléchit et qui prend ses décisions avec sagesse et maturité. Un vigneron qui teste sans cesse et qui n’ait jamais tombé dans le piège de la facilité. Peu de domaines Languedociens offrent une gamme aussi aboutie. Ses vins vieillissent merveilleusement, ils sont précis, aromatique et rond. Lors de mon passage au domaine, j’avais été bluffé par sa cuvée « L’esprit de font Caude », par « Saut de Côte », un Mourvèdre élevé 36 mois en cuve ovoïde béton et par son « Merle aux Alouettes », un pur merlot, qui ferait pâlir quelques beaux pomerols. Des vignes, comme sur les terroirs de Châteauneuf du Pape, plantées sur de l’argile avec des galets roulés. Un vin, également élevé 36 mois dont 24 en barriques, vif, chocolaté, à la structure étonnante de rondeur et avec une énergie tirée de son terroir. Un vin sans piège, sans fard …

L’ambition d’Alain Chabanon était de faire des vins fins et élégants qui pourraient faire concurrence aux meilleurs vins du monde. Il est passé  pour un fou à l’époque, dans un Languedoc dont la seule image était celle d’une production de vin de table de piètre qualité…Il a été récompensé, en 1998, sa cuvée le « Merle aux Alouettes », fut classé devant Petrus lors d’une dégustation à l’aveugle à laquelle participaient de prestigieux professionnels tels que Jancis Robinson et Jasper Morris. Il n’y avait aucun piège, aucun miroir aux alouettes, seulement un beau merle.