Parfois, une discussion à la fraiche, après une paëlla gargantuesque parfaitement arrosée de vieux vins, incite au papotage philosophique. La philosophie, l’histoire des idées a longtemps fixé un âge idéal, un summum de la vie (acmè) au-delà duquel celle-ci ne serait plus qu’une longue descente vers la dégénérescence et la mort. Aristote le fixait à 49 ans environ. Cette conception d’un point culminant de l’existence a perduré avec le mythe romantique du génie mort au sommet de sa gloire : Évariste Galois, James Dean, Tupac, Basquiat, Hendrix, Morrison, Ayrton Senna et Claude François qui pourtant étaient tous les deux d’excellent conducteurs … Montaigne, parlant de sa propre vieillesse dans ses Essais, estimait que c’est à l’âge de 30 ans qu’il aurait entamé sa vieillesse : « Depuis cet âge, mon esprit et mon corps ont plus diminué, qu’augmenté « . Mais la phrase la plus cruelle nous vient de Nietzsche, qui remet en en ces termes la vieillesse à sa place : « On a tort de permettre au soir de juger le jour, car trop souvent alors la fatigue se fait juge de la force« . Certaines sociétés, comme la Nouvelle Guinée, savent parfaitement accorder un rôle social prépondérant aux Anciens et ceux-ci ne connaissent pas certains maux comme l’isolement. La vieillesse, peut être aussi l’occasion de s’accomplir pleinement. C’est d’ailleurs la perspective de plus en plus de seniors s’opposant au jeunisme, non pas refuser la vieillesse, mais bien la vivre. C’est l’avis de Rousseau, pour qui l’homme se définit par sa perfectibilité, ce qui signifie qu’il n’y a plus de sommet dans l’existence, et que nous continuons à nous accomplir jusqu’à la fin de notre vie. Le philosophe des Lumières estime, dans ses Rêveries d’un promeneur solitaire, que « la jeunesse est le temps d’étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer« . A quoi servirait-il d’apprendre, d’accumuler de l’expérience pendant l’âge adulte, si ce n’est pour pouvoir jouir un jour des avantages de cet âge ?
Quand je vois Mick Jagger se trémousser le fion à près de 80 piges comme il le faisait à 20, cela confirme l’idée qu’il devient possible de ne plus être vieux ? Il n’y a pas de doute à avoir, les Rolling Stones sont vieux. Mais ce qui change désormais, c’est qu’on déconnecte le fait d’être âgé et l’enfermement dans un rôle : avant, on ne portait plus de jeans après 50 ans, les veuves restaient habillées en noir, etc. Il y avait un uniforme et un rôle dédiés à chaque période de la vie. Aujourd’hui, l’âge n’est plus une étiquette qui nous condamnerait à une identité forcée. Dans la tradition Africaine avoir des cheveux blancs force l’admiration car c’est le signe d’un homme qui a su traverser tous les dangers de l’existence, et dont le conseil est donc précieux. A nous de vivre pleinement sans craindre la mort, car nous avons finalement moins de raisons de craindre la fin que les plus jeunes ! Et enfin, rappelons-nous toujours l’avantage que nous aurons sur eux dans nos vieux jours avec cette citation de Nietzsche : « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave » … Le vin est comme l’homme, il peut se bonifier avec l’âge, mais ce n’est pas une règle absolue. Le vieillissement change le vin, mais ne l’améliore pas ou ne l’aggrave pas catégoriquement. Les Grecs et les Romains étaient conscients du potentiel des vins vieillis. En Grèce, les premiers exemples de vins de paille étaient connus pour leur capacité à vieillir en raison de leur forte teneur en sucre. À Rome, les vins les plus recherchés, Falerne et Surrentine, étaient appréciés pour leur capacité à vieillir pendant des décennies. La métaphore du vin qui vieillit en dit plus long qu’il n’y paraît ? Pour le vin, vieillir exige des interactions avec des conditions environnementales… Ne serait-ce pas la même chose pour l’homme ? « Vieillir comme un bon vin », acquérir de la maturité, devenir meilleur, prendre de la bouteille… La comparaison peut paraître désuète, absurde ou dangereuse, pourtant, la métaphore du vin qui, vieillissant, se bonifie ou s’abîme est intéressante à filer. Médecin, œnologue, psychanalyste, sociologue, philosophe explorent ce lien possible entre la vieillesse des humains et celle du vin, comme si cette dernière pouvait nous donner des repères, des idées, nous aider à penser notre vieillesse comme une bonification continue. Cette réflexion nous conduit à ouvrir, avec le sourire mais très sérieusement pourtant, des questions sur le sens de ce que nous vivons en vieillissant et de ce que nous faisons vivre parfois à celles et ceux qui vieillissent. Il se pourrait que le plaisir du vin et le plaisir de vivre ne soient pas très éloignés. Plaisir de sentir, goûter, partager, savourer, déguster, apprécier, s’émerveiller, et vivre, longtemps, à en devenir vieux, très vieux même. Il n’y a pas de pour ou contre le fait de vieillir. C’est inéluctable, pour certains, en vieillissant nous grandissons en connaissances, nous nous libérons des passions, nous sommes davantage respectés… Pour d’autres, au contraire, c’est la déchéance qui domine avec les années. Je crois que ces deux conceptions existentielles traversent chacun de nous par intermittence : nous pouvons passer d’un rapport dépressif à l’âge à un rapport quasi gustatif, voire gastronomique à cette expérience qui mérite aussi d’être vécue comme un autant de gagné. Dans L’Être et le Néant, Sartre explicite l’idée selon laquelle, par la durée, toute présence dans le monde se manifeste comme un mixte d’être et de néant. Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra« , nous dit : « ni le passé ni l’avenir ne sont, les choses présentes passent« .
Superbe nez sur le cassis, la cerise, le cuir, les épices orientales et le cigare. La bouche est fraiche, pas une grosse matière, mais de l’élégance, de la finesse, des tannins polis, une belle trame acide, un fragile équilibre qui dure longtemps. J’adore quand le vin a un goût de reviens y. Rioja Vina Tondonia Reserva 2005 Lopez de Heredia (75 % Tampranillo, 15 % Garnacho et 10 % Mazuelo et Graciano)
Une robe tuilée, presque rouillée, un nez tertiaire, champignon, sous-bois, terre humide et un peu de pruneau cuit. La bouche est une merveille, rien ne dépasse, les tanins sont soyeux, hyper fondus, évidemment après 58 ans ! Une sensation de douceur, une caresse du temps qui dure éternellement ? Pouvoir goûter encore ces « Gran Reservas » à l’ancienne, ces monuments espagnols est un plaisir extrême. Rioja Royal Reserva 1964 Franco Españolas (100% tempranillo)