Mémoire de nos pifs

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Proust avait raison avec sa madeleine, les souvenirs ont une odeur, une odeur particulière, l’odeur des biscuits tout juste sortis du four, les effluves du poulet du dimanche ou de l’air marin qui fait remonter des souvenirs de vacances à Cancale. La mémoire olfactive est puissante et les odeurs déclenchent des émotions, nous rassurent ou nous consolent. L’odorat, bien plus que tous nos autres sens, vous renvoie parfois directement dans le passé, pile à un moment, un endroit, une émotion ? La science a pu établir que nous possédons environ un millier de types de récepteurs olfactifs différents, ce qui nous permet de repérer des odeurs spécifiques et de les associer à un moment en particulier. Nous sommes capables de reconnaitre près de mille odeurs différentes, nous ne sommes pas capables de toutes les nommer, mais elles sont gravées dans notre mémoire. Nous sommes capables de différencier l’odeur de l’herbe fraîchement coupée de l’odeur de la pluie sur un trottoir chauffé par le soleil. La mémoire olfactive est profondément enracinée dans le cerveau. La partie du cerveau qui analyse et interprète les odeurs est appelée le « bulbe olfactif », et elle est située à côté de l’hippocampe. Cela a son importance, car c’est l’hippocampe qui a pour fonction de créer et de fixer les souvenirs, en particulier ceux liés aux expériences. L’odorat est le seul sens qui va directement jusqu’au cerveau, sans avoir besoin de détours, le coup d’œil est souvent trompeur, pas le coup de nez.

Une particularité de la mémoire olfactive tient à la « vivacité » des souvenirs olfactifs enregistrés. Lorsque l’on sent une odeur, il se crée un processus de mémorisation qui capture l’odeur, mais aussi l’environnement et les émotions qui y sont associées. Les arômes reconnus lors d’une dégustation dans un méli-mélo de saveurs semblent parfois s’oublier avec le temps. Pourtant, lors de la dégustation d’un vin, ils ressurgissent pour vous guider vers le bouquet dudit vin. Les souvenirs de la confiture de cassis de Mamie, une promenade dans les champs, un bonbon à la réglisse de cette Mamie qui avait un nez si grand que lorsqu’on l’embrassait sur les deux joues, on avait plus vite fait de passer par derrière. Lorsque que Gégé est arrivé avec une bouteille sans congé, sans étiquette et sans information, je n’avais que mon nez pour trouver et percer les secrets de cette bouteille mystère. Une couleur cuivrée, le temps ou l’oxydation, des odeurs curieuses d’oxydation, de caramel au beurre salé, de pain grillé, de clous de girofle, une minéralité un peu rustique, des amers et des notes tertiaires qui trahissent une certaine évolution. La bouche fait vieux vin et l’équilibre fait un peu défaut.

D’un coup, d’un seul, j’ai le souvenir d’une Haute Côte produit par la DRC, 3 lettres magiques que les œnophiles identifient instantanément. Il y a plus de 10 ans, Christian et moi avions dégusté une bouteille qui avait été mis en vente pour financer la restauration du monastère de Saint-Vivant, ce haut lieu de la Bourgogne inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité et conservé par une Association qui porte le même nom que cette abbaye. Une bouteille qui ne nous avait pas laissé un souvenir impérissable, mais mon cerveau avait enregistré l’information. Flash, l’Odyssée Neuronale commence, un magma d’activité électrique et chimique qui inonde le cortex, active des neurotransmetteurs, s’imbibe de dopamine. Imaginez un orchestre composé de milliards de musiciens, chacun jouant sa propre mélodie, mais tous contribuant à une symphonie harmonieuse. C’est le cerveau humain, l’architecte de nos pensées, le gardien silencieux de nos rêves, le pilote de cette extraordinaire toile interconnectée d’histoires, d’espoirs et de souvenirs. Mon cerveau, ce dégustateur imprévisible, me criait « DRC » alors même que je ne reconnaissais pas la grandeur d’un Corton ou d’un Montrachet déjà bu. DRC ? Gégé resta bouche bée ! Ce n’ait pas le Haute-Côte mais le vin blanc des vendangeurs de la DRC, mais comment mon cerveau avait fait le lien ?  Goûter un vin, c’est donc le goûter à travers sa mémoire. La dégustation d’un vin, ce n’est que du travail, un travail méthodique, de mémoire. Ce qui distingue un dégustateur novice d’un dégustateur expérimenté, ce n’est pas son nez, c’est son cerveau.

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