Des chiffres et des litres

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Bien avant JC Van Damne, Toto, Raymond Domenech, Luc Besson, Cyril Hanouna et le calcul rénal, l’homme a inventé le zéro, puis les autres chiffres. Il a commencé par se demander ce qu’il pouvait bien en faire, puis il a décidé de trouver un truc sympa pour que son imagination féconde ne reste pas mer morte et pour ne pas avoir appris à compter jusqu’à 19.452,47 pour des prunes. Un jour, ou peut-être une nuit, et même si les « i Phone » dotés d’une lampe intégrée n’avait pas encore été inventés, le comptable de la tribu a lancé un pavé de thon dans la marmite du pêcheur en ayant l’idée de remplacer les osselets de mammouth par des calculatrices Casio.

Je te fais grâce des phases intermédiaires de la manip, mais en moins de temps qu’il n’en faut à Rage pour dire putain de péripatéticienne, il (le comptable, pas Rage) avait inventé le bilan, le compte de résultat, le SIG, la 2035, la 2035 bis et la SCI pour faire payer un loyer à toute la tribu avant de partir se faire picoter la rondelle aux Maldives. Le « putain » de comptable avait été inventé. Tout ça pour te dire que depuis l’invention des chiffres, tu peux faire un bilan, même famélique, de ta soirée.

Jean-François Coche-Dury (prononcer Coche pour faire ami de la famille) produit des vins qui se classent au tout premier rang des grands vins blancs de Bourgogne. Ses vins ont désormais un statut de vin culte et s’arrachent à des prix hors norme. Qualité des terroirs, travail dans les vignes et au chai, petit rendement, maturité … La recette magique de ce succès est connue et appliquée par d’autres, mais pas avec les mêmes résultats, et je ne parle pas de compte de résultat. La perfection est difficile à copier. Son Meursault village 2008 est d’une pureté et d’une fraîcheur extraordinaire. Moins grillé et moins pétard qu’à l’ordinaire, si j’ose parler d’ordinaire avec Coche-Dury, mais avec de magnifiques notes citronnées et florale, une fine minéralité et une tension acide remarquable. Délicieux !

Sur les magnifiques terroirs de l’Hermitage, quelques ermites sorciers officient et produisent des vins légendaires, dont les qualités, à force d’être incroyables, finissent par en devenir surnaturelles. Jean-Louis Chave, vigneron-paysan, au sens le plus noble, fait partie de cette caste. Depuis 1481, cette dynastie règne sur les terroirs de l’Hermitage. L’homme n’affiche pas ses références bios ou biodynamiques sur ses bouteilles. Pourquoi se prévaloir d’une pratique qui tombe sous le sens et qui est appliquée depuis des lustres, bien avant la mode. Chez Chave, chaque parcelle ressemblant à un petit jardin japonais tiré au cordeau, ici on travaille la complémentarité des terroirs, on assemble Beaume, Ermite, Bessards pour obtenir le meilleur de cette colline magique. Sur les sols granitiques de cette bute sacrée, le temps sculpte les vins de JL Chave. Cet Hermitage 2008 a le fruit, le croquant, la fraicheur et l’énergie de sa jeunesse, mais le sol a déjà ajouté son empreinte minérale, ses accents de violette, sa force et cet équilibre si particulier. Si on ajoute la maîtrise des maturités et l’extraordinaire touché de bouche apporté par un élevage parfaitement maîtrisé, on obtient un très grand moment de dégustation, un univers à lui seul au sein duquel le temps semblait s’être arrêté…

Je suis un aficionado inconditionnel monomaniaque du barolo ! Il y a très longtemps, je suis tombé amoureux de ce style intemporel, patinés et inspirés qui déconcerte les handicapés des papilles. Les grands Barolo sont un ensorcèlement, quelque chose de rare est ici à l’œuvre, bons à boire après 10 ans … et pourtant, quelle récompense que de déguster des bouteilles très âgées, dotés de la sagesse et de la magie des terroirs autour des villages de Barolo, La Morra, Monforte, Castiglione Falletto et Serralunga d’Alba. Le Domaine Burlotto est hors du temps avec ses caves voûtées et ses vieux foudres de chêne français et de Slavonie.  Ici naissent certains des vins les plus fins et élégants du Piémont. Ce « Cannubi » 2008 est un vin subtil, tout en nuance. Dans ce verre, tout est suggéré plus qu’imposé, avec douceur mais sans mollesse, au nez, des notes de rose, de cerise noire, de réglisse, d’épices et de menthe fraiche, en bouche, de la générosité, mais pas de concentration, des tannins fermes, mais aussi du velouté et une très longue finale, très fraîche. Comme pour Coche et Chave, il y a cette évidence dans la pureté, dans l’élégance des textures, dans l’énergie que procure la dégustation de ces vins. Ils séduisent sans en rajouter, par leur esthétique brute et c’est tellement rare qu’il faut s’en réjouir en imaginant avec gourmandise la prochaine fois où nous croiserons leur route…