Vieilles canailles

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J’aime les vieilles canailles, même et surtout dans mon assiette et dans mon verre. Amourettes, frivolités, fraises, béatilles et autres joyeuses, c’est tout un hymne à la langue française, c’est un vocabulaire teinté d’amour et d’humour qui désigne ce que les bouchers appellent « le cinquième quartier« . Autrefois, canaille se disait « chiennaille », de chien (canin), c’était la valeur qu’on accordait à ces mets… juste bons à jeter aux chiens. Aujourd’hui le plat canaille a pris  le sens de polisson, coquin, fripon alors que le nom commun garde son sens originel de voyou, fripouille, vaurien … Dans les festins rabelaisiens, on cuisinait les tripes, la tête de veau, les andouilles, les testicules de béliers ou même la vulve de truie. Cette gastronomie rabelaisienne était teintée d’irrévérence, de facétie, de gourmandise et de libertinage truculent des mets et des mots, le mariage étourdissant entre la chair et la chère.

De nos jours, la grande gastronomie devient matériellement intouchable pour l’écrasante majorité de la population et les expériences moléculaires commencent à lasser. Le bistrot revient en force avec une cuisine de grand-mère et créé du liant grâce au merveilleux pouvoir gélatineux des pieds de cochon. Le foie de veau fait tomber les barrières sociales, les ris de veau ne sont plus l’apanage des bourgeois et s’acoquine joyeusement avec l’humilité rigolarde des tripes ou du boudin. J’aime les plats canailles parce qu’ils ne tolèrent pas la médiocrité. Cette cuisine ne fonctionne qu’avec des ingrédients d’une fraîcheur exemplaire et les cuissons doivent être soignées pour conserver les textures uniques d’un rognon ou d’une langue de veau. Un foie de volaille trop cuit peut offenser mon estomac et hanter ma mémoire gustative à jamais. Les plats canailles sont aussi régressifs qu’un Carambar maraudé chez l’épicier un jour d’école buissonnière. Je garde à jamais le souvenir ému du fromage de tête d’un tonton boucher, de sa recette d’oreilles de cochon grillées et même de ses animelles qui ne manquaient pas de sel. A la table canaille, les saveurs, les textures et la complicité gourmande se nourrit avec jubilation de ses différences. L’abat reste le met idéal pour surprendre, séduire et s’encanailler auprès des gens qu’on aime. En ses temps de culpabilisation alimentaire, de sommations diététiques, sanitaires et environnementales, le goût de la tripaille peut s’entendre comme un engagement « culino-politique » dont le facétieux programme, détient des accents aussi rabelaisiens que séduisants, surtout accompagné par une vieille bouteille aussi canaille que le plat.


Couleur rouge brun tuilé. Le premier nez est envoûtant, fraise, cerise, puis à l’aération, prune voire pruneau, boite à cigare, cuir et bois. Un nez de caractère. La bouche est onctueuse, même crémeuse, les tannins sont complètement fondus, le fruit est encore présent, le gras est proche du sucre et l’ensemble est soutenu par une grosse acidité qui porte la finale. Le rêve d’un vieux pinot noir qui refuse de disparaitre et qui tapisse le palais longtemps après que le verre soit vide.
Vosne-Romanée 1957 Morin Père et Fils 

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