L’abus de plaisir ne nuit pas au bonheur. Le plaisir de la table est comme l’argent, on peut être heureux dans la ruine mais l’opulence ne nuit pas au bonheur. On ne perd rien à vivre passionné par le vin et la table. Plus la pandémie dure, plus je me pique d’Epicure, 3 fois même, sans craindre les piqures et leur effet soi-disant apocalyptique. Je n’ai rien contre les antivax qui prennent leur corps pour un temple mais s’enfilent des pastis et du jaja de contrebande en fumant clopes sur clopes, qui se prennent pour des Jean Moulin dans leur maison de vacances à Cannes ou qui parlent de Shoa parce qu’ils ont dû abandonner le golf ou la danse classique. D’un côté on a envie de se dire que c’est leur problème, mais c’est quand même aussi un peu le nôtre puisqu’ils peuvent nous contaminer ou contaminer un proche à qui l’on tient. Aimons-nous quand même les uns dans les autres parce que sinon c’est chiant, mais sans virus de préférence.
Revenons à Epicure. Oui, je m’adonne à l’hédonisme, je suis un ampélosophiste, un humaniste de bistrot, que je préfère au platoniste qui est quand même plus grave mais moins ironique que le socratique. Si je suis un épicurien, c’est que je me contente du mieux que rien, de la guêpe, je ne crains que le Dard, mais comme Fréderic, je tiens d’Epicure le don d’esquiver les jouisseurs insupportables. Je suis de l’épicurie, mais je déteste les hommes et les vins qui sentent l’écurie. Contrairement à celui qui se figure que la viande est préférable au pain, le sage épicurien sait que la viande et le vin ne donnent pas un plaisir plus grand que le pain et l’eau, mais aussi … pas moins, alors pourquoi se priver ? Pour Epicure, le plus important ce n’est pas ce que l’on mange, mais avec qui l’on mange. Un repas de viande sans ami, c’est une vie de lion et de loup. Manger seul est malsain pour celui qui philosophe. Le repas possède une vertu philosophique éminente à condition de relever du banquet que l’on partage entre amis. La faim, le désir de manger amène au plaisir. L’expérience de la satiété que je vis comme une forme de tristesse, c’est peut-être ça mon côté insatiable. Quand il n’y a plus de manque, on s’ennuie. On n’est plus chez Épicure, on est chez Schopenhauer parce que chez Épicure, au contraire, l’expérience du ventre plein, l’expérience de ne plus avoir faim, c’est au contraire le plaisir suprême, ce qu’il appelle « le plaisir en repos ». Tout ça pour vous dire que j’ai faim, j’ai les crocs, la dalle, l’estomac dans les talons, une faim de loup, je boufferais une girafe en commençant par la tête, surtout si le plat est aussi bien accompagné … Quand un ami vous invite à déguster une grande bouteille, vous mettez la philo de côté, vous oubliez de demander pourquoi les maîtres-queue sont habilités à réclamer leur carte de membre à des eunuques, vous vous taisez, vous ouvrez vos chakras et vous dégustez la dernière grosse quille avant la nouvelle année.
Un premier nez duquel la race et la noblesse du terroir jaillissent du verre. On devine un fruit bien mûr, mais en même temps, jeune et frais, sur la framboise, la cerise noire, les épices douces, la mélisse, un côté floral tirant sur la rose fanée. Le vin ne cessera d’évoluer, vers la prune, la terre réglissée juste remuée, l’orange amère, la truffe et la menthe. Un nez magistral et une bouche somptueuse, on croque le fruit, c’est dense et délicat, ferme et suave, c’est un vin riche qui a un charme unique, un équilibre parfait. Un très grand jus plein d’émotions dont la finesse n’a d’égale que la complexité. Ce sont des vagues de plaisir qui roulent sur mon palais et qui persistent longtemps, très longtemps … Jusqu’à la dernière goutte. La Tâche est un vin monacal, droit et pénétrant, mais destiné au plaisir, dédié à la table, surtout accompagné d’amis et d’un très bon médaillon de biche. La Tâche 2014 Domaine de la Romanée Conti