Un désaccord ne signifie pas toujours qu’on s’oppose, mais le plus souvent, qu’on se complète, comme le prouve cette anecdote tirée du Don Quichotte de Cervantès. Un village reçoit un tonneau de vin et veut savoir si le vin est bon. Les villageois font appel aux compétences de deux éminents spécialistes du village. Le premier goûte le vin et dit : « ce vin est excellent, fin, élégant, très long en bouche, mais ce petit goût de fer gâche un peu la finale« . Le deuxième goûte à son tour et dit : « Ce vin est très bon, souple, délicieux si ce n’est ce goût de cuir qui en altère sa saveur« .
Le village est hilare, tout le monde se moque des deux prétendus spécialistes qui ne sont pas d’accord, l’un parle de fer et l’autre de cuir. Tout le village décide de goûter le vin, un très bon vin, en quelques heures, le tonneau est vide. C’est à ce moment que l’on découvre, au fond du tonneau, une clé en fer, accrochée à une lanière de cuir. Les deux spécialistes avaient raison, ils étaient en désaccord, mais cela ne voulait pas dire qu’ils avaient tort, qu’ils s’opposaient, cela voulait dire qu’ils étaient complémentaires.
Cet exemple démontre que la présence ou non, d’un arôme ne préjuge en rien de la qualité d’un jugement sur un vin. Le diagnostic était juste, le vin était bon, très bon même, disaient-ils. Il ne faut jamais confondre fait et valeur. Les deux spécialistes n’ont pas exactement diagnostiqué la présence d’une clé, mais seulement perçu un goût de fer et de cuir, dont la cause aurait pu être d’un tout autre ordre, et même éventuellement indécelable. A contrario, l’absence de cette clé n’aurait nullement disqualifié leur jugement. Le jugement de dégustateur est une simple observation, le goût ou l’arôme de fer, de framboise ou de banane, est un fait en soi, qui ne renvoie à aucune cause. Déceler un arôme de fraise de bois ou de cul de vache ne nous contraint pas à en donner la cause, à chercher la vache, ni ne compromet notre jugement sur la qualité ou l’origine d’un vin, mais peut constituer un indice en faveur de l’appréciation que fera le dégustateur et participer ainsi au déclenchement du jugement, selon l’échelle des valeurs qu’il s’est construite avec l’expérience. Trouver des arômes peut être crucial et orienter la recherche de l’origine de ce goût : le cépage, la région, l’âge du vin, etc. Des notes d’hydrocarbures, en principe, ne qualifie pas le vin, mais apporte un éclairage sur son éventuel cépage. Si le goût du vin est varié à l’infini, c’est d’abord qu’il existe un grand nombre de cépages, cultivés dans une infinité de situation et de climats.
Les bons vins se distinguent des autres par leurs qualités, les mauvais se ressemblent par leurs défauts. Les défauts olfactifs sont les plus faciles à reconnaitre et à décrire. Ils correspondent à des odeurs intrinsèquement repoussantes, elles évoquent des aliments corrompus ou des substances impropres à la consommation comme l’œuf pourri, le moisi, etc… D’autres imperfections olfactives sont dues à des molécules dont l’arôme n’est pas forcément déplaisant en soi mais qui rappelle des aliments, des lieux, des situations, déplaisants pour le dégustateur. C’est le cas notamment pour la noix, le poivron vert, le pruneau, la cire, le fromage, le cuir de Russie qui, pour certains, possèdent un caractère banal en uniformisant l’expression aromatique des vins. Les goûts et les couleurs, c’est bien connu, ne se discutent pas ! Il n’est pas question d’instaurer une sorte d’eugénisme sensoriel en décrétant certaines odeurs appréciables et d’autres non. En fonction de sa sensibilité et de sa propre expérience, un dégustateur peut apprécier des arômes considérés comme des défauts par d’autres et éprouver du plaisir. Pour autant, les défauts possèdent tous un effet uniformisant sur la palette aromatique du vin. Or, un grand vin constitue une forme d’idéal esthétique, l’expression originale et inimitable d’un lieu et cette expression doit être reconnaissable. Dès lors, la présence de défaut est préjudiciable au vin, car si elle ne repousse pas instinctivement tous les dégustateurs, elle nuit à sa subtilité et à sa complexité. Par exemple, même dans un grand Montrachet, une évolution oxydative prématurée ternit le raffinement ultime et la personnalité si particulière d’un terroir d’exception. Donc, au même titre que la musique classique doit être juste pour être pleinement appréciée, le grand vin doit être sans défaut pour offrir une émotion et un plaisir maximum.
La qualité d’un vin ne dépend pas uniquement de ses propriétés gustatives. Son image aux yeux des amateurs concourt aussi à sa valeur. Lors de la dégustation d’un vin, sa réputation, son millésime ou son prix conditionnent le dégustateur. Ses attentes influencent ses perceptions sensorielles. Il n’est pas rare d’entendre des dégustateurs clamer leur amour pour une appellation, un climat ou un château, en raison, non pas d’un goût, mais d’un attachement particulier lié à des souvenirs. C’est une évidence, la dégustation ne sera jamais un exercice objectif puisqu’elle fait appel à l’émotion. Elle a comme le cœur ses raisons que la raison ignore…