La stratégie du cancre-là

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Nous sommes heureux, en cette période de canicule et d’examen, Régis et JeanDa, nos deux pervers instructeurs, nos deux sérials éducateurs, nos deux gonades préférées, les Laurel et Hardi de la chimie, ont pris sur leur temps de correction, leur temps de châtiment notatoire, pour nous concocter une chtite soirée de chimie du vin. Ces deux grands spécialistes de la glande sont enseignants au collège Kev Adams de Schiltigheim, une ZEP (Zone d’Extermination des Profs) tout ce qu’il y a de plus ordinaire. La quasi-totalité de leurs élèves sont en échec, non pas parce qu’ils s’en foutent ou qu’ils ne travaillent pas, non, pas du tout, c’est simplement parce qu’ils sont tous cons, profondément con. Ils sont généralement soutenus par leurs parents, non pas parce qu’ils sont gentils ou empathiques, non, simplement parce que les parents sont comme leurs enfants : excessivement cons, parfois bien plus que leur débiles progénitures. C’est plus la France profonde, ce sont les connards des grandes profondeurs !  S’agissant du programme, c’est simple, Régis a le sien, les élèves ont le leur. Il a compris que rien ne sert d’imposer un programme.

À contrario, en option, Charcutier-plombier option musique, son pote JeanDa a essayé Mozart et Beethoven, les élèves ont préférés, Booba et La Fouine, résultat, on a retrouvé notre JeanDa, la tête dans les chiottes avec une flute dans le derche et elle n’était pas enchantée, la flute, JeanDa non plus d’ailleurs. Depuis, quand il pète, il nous fait « Così fan tutte » revisité par La Fouine. C’est assez joli. Régis a fait une grande découverte : si tu mets des élèves sans idée, sans perspective dans la même classe, et bien, il se passe un phénomène étrange, ils n’auront toujours aucune idée, aucune perspective, mais ça les occupera, c’est déjà pas mal.

Parfois, surtout en section CAP Boulanger-bétonneur option foot, ils écrivent des trucs sympas au tableau, comme : pute, enculé, preuve qu’ils considèrent leurs profs comme quelqu’un de la famille. Une fois, il y en a qui a écrit : « va te faire enculer gros connard dégénéré ». Direct, Régis a réagi, il n’a pas laissé passer, il a prévenu le directeur, un élève qui fait une phrase avec sujet, verbe, COD, sans faire une faute d’orthographe, faut qu’il arrête l’option foot, pour l’option journaliste sportif, un tel talent littéraire, il ne faut pas le gâcher. Il respecte ses élèves, Il leur a expliqué que, quand il disait « sortez votre matériel », ça ne voulait pas dire monter sa bite à sa voisine. Il leur a appris que Frankenstein n’était pas le biopic de Franck Ribéry. Il a accepté que Fatima et Aycha porte la Burka pendant tout le premier trimestre avant de s’apercevoir qu’elles étaient en section Boulangère-serveuse option apiculture. Il ne tourne jamais le dos à ses élèves, il ne les regarde jamais dans les yeux, comme pour les pitbulls. Quand ses élèves atteignent leurs limites, c’est-à-dire après 3 ou 4 heures de cours, il n’essaie pas de leur faire franchir un palier, il leurs conseille de faire demi-tour. C’est très intelligent, novateur même, dans l’autre direction, il n’y a aucune limite, aucune barrière. Bref, Régis et JeanDa nous ont préparé une interro surprise, un peu comme quand nous étions jeunes, insouciants, rebelles et que nous portions de patte d’éléphant, des pulls en Licra et toute la misère du monde.

Après avoir attendu stoïquement que l’interro démarre, 30mn de gorge sèche, on commence avec une question champenoise.

Question numéro 1 : Qu’est-ce qui a fait d’un simple vin, cultivé dans une région viticole plutôt médiocre, l’une des icônes les plus célèbres et les plus féériques d’aujourd’hui ? Réponse : Ses mystérieuses bulles ne suffisent pas à tout expliquer, le champagne est devenu l’emblème de la fête grâce au marketing, les champenois sont les rois de la mythification collective, après les Bordelais. Par la grâce de quelques bulles, un petit cureton (Pierre « Dom » Pérignon) a transformé un mauvais vin acide en mythe vineux. Ils ne sont pas nombreux ceux, à table, qui ont reconnu le Blanc de Blanc de Perrot-Batteur et Filles, léger et frais, et le très vieux champagne d’Egly-Ouriet, plus caramel, rancio que vin de fête. Bon début mais baisse de régime.

Question numéro 2 : L’Alsace est-elle la plus belle région de vin blanc ? Oui, évidemment. C’est mon pote Chléophille, oui ses parents sont des pro pour inventer des mots au Scrabble, qui dit toujours que l’eau conduit l’électricité, mais si tu mets du vin dedans, elle a plus le droit de conduire, sauf en Alsace. Chléophille, Il est con comme un iceberg, trois fois plus con que ce que tu vois ! Pour revenir à nos moutons Alsacien, le Zotzenberg 2002 de je ne sais plus qui, était super bon, herbe coupée, menthe, minéralité, bien meilleur que le Kastelberg 1983 de Durrmann, caramélisé et à la bouche pas très nette. Une bouche très pétrolée, alcool de fruit jaune, gras, puissant, peu d’acidité, pour sûr, ce n’est pas un Zind. Raté. 0, pour la question, c’est un Rangen 2009 de Zind-Humbrecht ! Décevant, peut mieux faire.

Question numéro 3 : La Loire est-elle la plus belle région de vin blanc ? Oui, la Loire est un vignoble hétéroclite, diversifié, qui réserve de nombreuses surprises. Depuis quelques années, de nombreux jeunes, et moins jeunes vignerons, ont porté les vins de Loire à un excellent niveau. Les Terres Blanches 2015 du Domaine Bernaudeau et le Cornillard 2015 de Patrick Baudouin, sont de ceux-là. Des vins subtils, équilibrés et digestes et qui ne coûte pas l’équivalent du PIB du Burkina Faso. Bon travail, mérite une mention.

Question numéro 4 : Le Jura est-elle la plus belle région de vin blanc ? Oui, surtout après avoir déguster un immense petit vin. Michel Gahier est à l’image de ses vins : unique et hérétique. La Fauquette 1997 de Michel Gahier est un vin ample avec une fraîcheur et une jeunesse sidérante, des notes de pierre à fusil impressionnante. Ce vin possède une incroyable tension et une acidité donnant l’impression qu’il est indestructible.  Un Savagnin sous voile magique, plus proche de Montrachet que de Montigny-lès-Arsures. Le « Sage Vagnin » 2013 de Philippe Chatillon était, lui aussi d’une grande qualité, moins exubérant, mais très pur et vibrant. Fait de gros efforts, élève plus que méritant.

Question numéro 5 : La Bourgogne est-elle la plus belle région de vin blanc ? Oui, surtout si tu possèdes 10 fois le PIB du Burkina Faso. Oui, Leroy, Leflaive, Coche Dury, Raveneau …. Corton-Charlemagne 2001 du Domaine Bonneau du Martray, pas très causant au nez, crème brulée, agrumes et fleurs blanches. Un vin puissant, fin et équilibré, sans être tape-à-l’œil. Sur la côte de Beaune, le Chardonnay est dans son berceau et y trouve son expression la plus parfaite, quand le vigneron ne confond pas élevage et maquillage. Le vin est issu du raisin, pas du bois ! Élève qui donne l’impression de faire le minimum, elle s’en sort pour le moment mais est-ce que ça va durer ?

Question numéro 6 : Le rouge est-il meilleur que le blanc. C’est une question philosophique. Comme le disait si bien le philosophe Emmanuel Lavinasse dans son essai « Éthylique et infini » : un livre sera toujours moins fort qu’un litre de vin pour modifier ce que tu penses. Alors, comme je change d’avis comme de verre, je dirais que ça dépend. Si le vin sent la vieille chaussette usagée et le vieux porto et que c’est un vieux Pommard 1978, je n’en suis pas bien sûr ! S’il est sur la rafle, la cerise noire, avec une belle acidité et beaucoup de buvabilité, comme ce Morgon Corcelette 2015 du Domaine Foillard, la question est légitime. S’il est sur la mélisse, la cerise et la framboise, que ces tannins sont élégants comme cet Echezeaux 2008 ou ce subtil Clos Vougeot 1999 du Domaine Mortet, alors on se rapproche d’un oui. Si un simple village, au nez de cerise, de framboise, de pivoine, de rose et de terre humide vous enchante, si, la bouche est concentrée et suave à la fois, si rien de dépasse et que tous vous fascine et vous ensorcelle, alors vous touchez au but. Les Jachées 2014 Domaine Bizot, le pinot noir est le roi rouge et la bourgogne est son sanctuaire. Du talent, du travail, l’association est parfaite.

Question numéro 7 : un vieux vin peut-il sentit le chat crevé ? A priori, je dirais que non. Mais le vin que je sniffe en ce moment sent la fourrure de char mort, la souris et le cigare froid. Si je suis honnête, je dirais qu’il sent aussi la réglisse et la violette, mais comme je suis de très mauvaise fois, je reste sur mon chat mort qui course une souris verte, qui dansait dans l’herbe … Ce qui, il fait bien le reconnaitre est un tour de force pour un chat crevé. Typicité des vieux vins ? Pas sûr, c’est un 2010. Amateurs de vieux vins ou nécrophiles, le débat est lancé et le voyage va nous mener au bout de la nuit avec roulette russe à la clé. Nous ne sommons pas tous égaux face aux vieux vins, nos papilles sont teintées d’expériences diverses avec les vieux millésimes. Certaines généralisations sont parfois abusives, mais les grands vins, les vins de caractère, j’aime les boire mûrs, dans la force de l’âge. Je ne suis ni pédophile ni gérontophile. Ce que les vins gagnent en devenant des reliques ne remplace pas ce qu’ils ont perdu. Pas besoin de m’épater avec des vioqueries à pedigree. Boire des momies n’est pas ma tasse de vin. Quand le fruit a disparu, et a laissé la place à des arômes de sciure de bois ou phéromones de mouflon, je n’avale plus ! Il ne reste que la pourriture pas noble d’un vin devenu cadavre. Alors, halte à l’acharnement thérapeutique ! Mais il y a toujours des exceptions qui confirme la règle. Miel, abricot, mangue, caramel, café, ambre, boité à tabac, magnifique. En bouche, un velouté sensuel, élastique, une jolie acidité qui étire les saveurs à l’infini, de subtils amers qui durent. Château Gilette Crème de Tête 1959. Magique. Le très vieil Tokaji Aszu Eszensia 1957 qui a suivi était excellent, de l’essence de vin, une robe quasi noire, un nez de crème de café, de dattes, de nougat, une acidité à retourner le palais de JeanDa, une longueur interminable, mais qui a-t-il après le parfait ? Je sais que la perfection n’existe pas, pourtant je cours après ! J’essaie d’atteindre ce qui est inatteignable. Comme le cancre, j’essaie, je fais de mon mieux, mais je n’y arrive jamais. Je me dis qu’au lieu de courir après la perfection, je ferai mieux de la voir à tout moment et en toute chose, question de perspective.

L’amateur de vin est un cancre qui change constamment d’avis. À l’école du vin, je suis un cancre, comme l’écolier. Ce n’est pas que je ne fasse rien, c’est que je n’ai rien prévu de faire ! Je n’ai pas de projet, écouter ou ne pas écouter, là est la question. Je laisse vagabonder ma pensée, je bavarde avec mon voisin. Quand le prof parle, je dessine, j’écris, je complète ma galerie de personnages, ou j’essaye encore une fois de finir le niveau de Candy Crush. Certes, je n’ai pas beaucoup écouté nos deux sérials professeurs, mais j’ai entraîné mon imagination et progressé dans le néant. Cela me sera peut-être utile plus tard. Comme tous les cancres du monde, je suis rebelle à la règle scolaire. Le cancre est un stratège, il mesure son effort par rapport à un objectif précis. Avoir suffisamment d’éléments pour sauver son année et ne pas subir la pression d’un ratage et d’une note calamiteuse. En faire moins que les autres certes, mais que ce soit rentable. C’est la stratégie de ce cancre-là. Comme lui, je réalise un compromis qui me prépare à de plus grands investissements personnels le jour où j’aurai choisi d’apprendre.  C’est à ce moment futur que je me préserve. Au fond de moi, bien enfoui, je préfère la réussite à l’échec. Un jour je serai prof.