La rincée des douze singes

Nous sommes tous des singes et nous sommes tous des candidats au conditionnement. Prenez douze singes, mettez-les dans une pièce où est accrochée une banane au plafond, et seule une échelle permet d’y accéder. Les singes sont agiles et vont monter sur l’échelle pour prendre les bananes. Oui, mais la pièce a été dotée d’un système de sprinklers qui arrose toute la pièce d’eau glacée dès qu’un singe tente d’escalader l’échelle. Résultat, douche froide pour tous les singes. C’est le conditionnement. Les chimpanzés apprennent très vite que tenter de prendre la banane, c’est faire subir au groupe une douche glacée, et les singes n’aiment pas ça. Ils apprennent en regardant leurs congénères, mais également en tentant eux-mêmes l’escalade. Si l’apprentissage ne se fait pas toujours par expérience individuelle, il se fait très vite par les réactions du groupe. Si un chimpanzé tente l’expérience, les plus vifs et les plus forts se précipitent sur lui pour empêcher que tous ne subissent la douche froide et l’impétueux macaque est remis à sa place à grand coup de pied au cul. Un fois l’apprentissage bien acquis, le système d’eau glacée est désactivé. Les chimpanzés conservent l’expérience acquise et ne tentent pas d’approcher de l’échelle. Bien que ne craignant plus d’être aspergés, les chimpanzés ont consolidé un comportement interdit.

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Le désaccord n’est pas un bourre-pif collaboratif

J’aime le désaccord ! Du fait notamment de sa mauvaise réputation. Mais, comment fonder quelque chose sur un désaccord ? La première chose à bien comprendre, c’est que nous ne croyons plus au rêve d’une société sans contradiction, sans conflit, entièrement réconciliée, parce que les sociétés les plus totalitaires sont issues de ce rêve-là. Nous savons donc que nous sommes plongés dans le conflit des interprétations, dans le désaccord, jusqu’à la fin des temps. Amen ! C’est notre karma. Quand il persiste et semble insoluble, le désaccord est perçu comme un échec, il reflèterait l’incapacité pour les individus à parvenir à un consensus. La tradition philosophique semble à ce titre majoritairement accepter l’idée selon laquelle le désaccord doit être surmonté au profit d’un accord sur ce qui est jugé vrai ou raisonnable. Aristote, lui-même, affirme que la délibération, a pour horizon le dépassement des différends grâce aux vertus du logos (la parole). Désolé mon cher Aristote, mais c’est faux, archi faux. C’est des conneries. Le débat n’a pas pour ambition de convaincre, mais de vaincre, même si c’est con de vaincre ! Mais c’est comme ça. C’est un affrontement. Le désaccord, loin d’être un échec possède bel et bien une valeur. Bien plus qu’un accord, un désaccord permet de clarifier l’identité respective de ses opposants, et de les positionner clairement. Le désaccord permet ainsi à ceux qui l’expriment de faire entendre leur voix, et de satisfaire leur besoin de reconnaissance par le biais de la protestation et de la revendication, avant d’être enfermés et bannis à jamais. Comme le disait le Mahatma Gandhi, un désaccord honnête est souvent un signe de progrès. Deux personnes en désaccord s’accordent au moins pour dire que ça leur fait un point commun. Du désaccord né le compromis et la tolérance.

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Complètement Givry

Comme le dit si justement le philosophe Calogero, on peut s’aimer, se désaimer, on ne ressemble, qu’à ce qu’on fait, on est semblable à ce qu’on est. Attention, je ne te parle pas de désaimer les très nombreuses pages Facebook que tu as frénétiquement likées cette semaine, je te parle de ne plus chérir un truc que tu as beaucoup aimé, voire d’aimer un truc que tu détestes. Je te parle d’ambivalence, d’oscillation et des jeux d’opposition entre aimer et ne pas aimer. Du goût au dégoût, il n’y a parfois qu’un petit faux pas. Un exemple : Coldplay est devenu un groupe que l’on adore détester. La béatitude dégoulinante de Chris Martin qui ne s’arrête plus de chanter des odes à la vie, l’univers rose bonbon du groupe devenu un festival de bisounours, me sort pas les yeux. Mais j’aime bien leurs chansons. De même, nous avons tous une relation ambivalente avec le travail. Le travail est à la fois quelque chose de pénible dont on aimerait se passer et un moteur de développement, de libération et d’épanouissement. Le travail, c’est bien, mais personnellement, j’aimerai m’en passer. On est loin du pinard ? Pas tant que ça. Le vin, son apprentissage, l’apprivoisement de son gout, la recherche de son propre gout, c’est quelque chose de progressif et chacun, à son rythme, nous avançons à force d’expérience. Même si le plaisir est immuable, nos goûts changent. Choisir, c’est renoncer.

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Leçon de philo pour les agités du bocal

La philosophie ne doit pas être moralisatrice, mais inspirante. Que cette histoire soit vraie ou non importe peu, la leçon qu’elle apporte, en revanche, est pleine d’inspiration. Tout commence dans une salle de classe. Le cours commence et les élèves s’installent, prêts à écouter leur professeur. Le prof de philosophie se tient devant ses élèves et introduit son cours :  » Nous n’avons qu’une vie à vivre, une ombre fuyante au sein de toute la vie de ce vaste univers. Nous avons la capacité de tout accomplir. Vraiment tout ! Si nous utilisons notre temps intelligemment ». Puis, il sort de son sac un bocal vide et le pose devant lui et commence à le remplir avec des balles de golf. Une fois le bocal rempli de balles, il demande aux étudiants si le pot est plein. Unanimement, les étudiants conviennent qu’il l’est. Le professeur se saisit alors d’une boîte de petits cailloux et les verse dans le bocal. Il secoue légèrement le bocal pour laisser les cailloux rouler vers les zones libres entre les balles de golf. Il repose ensuite sa question et, une fois encore, les étudiants répondent en chœur que le récipient est rempli. Il prend alors une boîte contenant du sable et commence à le verser dans le pot. Bien entendu, le sable remplit tout l’espace entre les balles de golf et les cailloux. Une nouvelle fois, il pose la même question, et obtient la même réponse. Le bocal est maintenant plein. Le professeur, franchement amusé, prend une bouteille de vin de son sac et verse tout leur contenu dans le pot. Le vin comble alors immédiatement tout l’espace vide entre le sable. Réalisant qu’il se sont encore fait avoir, les étudiants rient de bon cœur.

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N’ayons pas peur d’Épicure

Cette fois, c’est du sérieux, nous allons causer philo et nous piquer d’Épicure. Mais c’est quoi un épicurien? Ce n’est pas toujours une sinécure que d’être un accro d’Épicure qui aime les épines et pas les roses et souvent, les orties sont ses copines. Oui, je m’adonne à l’hédonisme, je suis un ampélosophiste, un humaniste de bistrot, que je préfère au platonisme qui n’a rien à voir avec celui qui aime les femmes plates. Si je suis un épicurien, c’est que je me contente du mieux que rien, de la guêpe, je ne crains le Dard, mais comme Frédéric, je tiens d’Épicure le don d’esquiver les jouisseurs insupportables. Je suis de l’épicurie, mais je déteste les hommes et les vins qui sentent l’écurie. L’épicurisme, c’est une vie dédiée au plaisir. Un terme galvaudé, par des partouzards ou des érotomanes de tous poils, à la recherchent d’un prétexte doctrinal à leurs activités lubriques. L’image du pourceau colle à la peau des épicuriens. Ce ne sont pas des gloutons, jouisseurs et ignorant, l’épicurisme, qui fut, avec le stoïcisme, l’une des plus importantes écoles philosophiques de l’Antiquité, est souvent confondu à tort avec une recherche effrénée du plaisir.

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Le fil d’Arianna

Arianna, c’est le nom d’une des épouses de Bacchus.  Un signe ? Surement ? La famille, un autre signe. Très jeune, son oncle Giusto l’emmène à Vinitaly pour représenter le domaine COS. Dans la foulée, elle termine ses études et part pour la Faculté d’Œnologie de Milan. Une carrière est née. A l’image de son oncle qui vient de sortir les amphores de l’argile d’Espagne, elle rêve de faire des grands vins sur le terroir de son enfance, en Sicile, près de Vittoria, au sud-est de l’île, une campagne sauvage et envoutante. Elle achète 1 hectare de terres au lieu-dit Fossa di Lupo, un lopin de terre dans l’Appellation actuelle Cerasuolo di Vittoria, des vignes de 20 ans d’âge, de Frappato et de Nero d’Avola. Ces études Milanaise digérées, elle va se forger ses certitudes, jeter aux oubliettes celles de ses professeurs qui lui ont appris le vin comme un produit industriel dont on doit contrôler chaque molécule chimiquement, qu’on construit à base de levures chimiquement parfaite pour standardiser le produit. Elle va faire ce qu’on doit toujours faire avant d’agir : réfléchir, tester, essayer, se tromper parfois, mais pour rebondir, améliorer. Un questionnement permanent, avec comme seul but, progresser et toujours faire mieux. Elle côtoie Elisabetta Foradori, Frank Cornelissen ou Nicolas Joly, et se forge ses certitudes : le respect des sols et de la nature, la biodiversité, la rigueur. Elle aspire à un vin léger, élégant, peu alcoolisé.

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Comme un dieu parmi les hommes

Paradoxe épicurien sur l’amitié et le vin

L’homme heureux a-t-il des amis et du vin ? Même si elle est paradoxale, la question n’est pas absurde. Elle est même à la croisée de mes préoccupations actuelles. Commençons par exposer le problème de manière abstraite. On voit de suite poindre le casse-tête logique où se croisent les définitions de l’amitié, du besoin, du bonheur et du vin. D’un côté, l’affaire est pliée, c’est évident, l’homme heureux a des amis, des amis qui aiment le vin, évidemment. Justement, sans amis et sans vin, abandonné comme un chanteur mort, l’homme ordinaire, à l’instar du vin ordinaire, serait le plus malheureux des hommes. Donc l’homme heureux a des amis, et si possible, nombreux, amateurs de vin, fidèles et eux-mêmes heureux, puisque le bonheur est contagieux. C’est même la seule définition raisonnable de l’homme heureux. Oui mais ! Si l’homme était vraiment heureux, il n’aurait besoin de rien ni de personne, il n’aurait donc pas d’amis et pas de vins dans sa cave, il se suffirait à lui-même. Il passerait ses journées sur Eurosport à mater du Curling acrobatique ou des replays de confessions intime pour se bidonner quand Francis Lalanne entre en communication avec les arbres.

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Dresseurs de volcan

Susucaru rosato 2016 – Frank Cornelissen

Si les indiens avaient leur eau de feu, les siciliens ont leur vin de feu. Dominant la Sicile du haut de ses 3.350 mètres, l’Etna est une ile dans une ile. Le volcan possède un écosystème complexe. Entre les champs de lave, les agrumes du bas de pente, les châtaigniers d’altitude et les pistaches de Bronte, la vigne s’est taillée la part belle. L’Etna, c’est la demeure mythique des titans, c’est là qu’Ulysse a endormi le cyclope en l’enivrant du vin de l’Etna. C’est sur les pentes du volcan que pousse le « nerello mascalese », un cépage marié et acclimaté au terroir si particulier du volcan. La prise en compte de nombreux microclimats, la juxtaposition des différentes coulées de lave, voit la montée en puissance du concept de cru sur le volcan. Des zones distinctes appelées Contrada en Sicile.  De Serra della Contessa sur le flan sud-est à la Contrada Caselle sur le flan est, ou Chiusa Spagnola au nord,  chaque Contrada a ses propres caractéristiques qui font des vins différents et uniques.

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De l’art d’être dans la lune

Viognier La Face cachée de la Lune 2014 Jean Delobre

Être dans la Lune, voilà bien l’expression qui m’a suivi durant toute mon enfance, même si mes premiers désaccords avec cette métaphore concernent la Lune, justement. Pour moi, je n’étais pas dans la Lune mais dans mes rêves à m’imaginer un sens au mystérieux et à ses mystères. Malgré tout j’ai très vite compris qu’en français, c’est LA lune et LE soleil. Ce soleil qui irradie sa lumière, et cette Lune qui ne fait simplement que réfléchir cette lumière. La Lune est aussi le symbole des rythmes biologiques, celui du temps qui passe. Les connaissances empiriques des hommes sur l’agriculture ont toujours accordé beaucoup d’importance à la Lune. Les vignerons qui travaillent en biodynamie suivent un calendrier lunaire et font concorder les travaux agricoles avec certaines phases de la lune. Ils utilisent « les forces de vie », la biodynamie inscrit la plante dans la durée, un devenir et dans un cycle.

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Le litre et le néant

Aujourd’hui, j’imprime mon premier billet. Ou plutôt le premier billet d’une nouvelle vie bloggesque. Une façon comme une autre de tourner la page d’une cénosillicaphobie qui m’a porté vers une Oenosemiophobie (la peur des étiquettes de bouteille de vin), crainte qui a fini par muter en Xyloglossophobie, la phobie de la langue de bois. Mais, rassurez-vous, ça se soigne! Je ne suis pas devenu vinophobe, loin de là ! Ceux qui ont la malchance de me connaitre vous le diront, je me soigne au Meursault bien frais ou à dose non-homéopathique de Côte-Rôtie, minérale et sauvage de préférence. Au début, il s’agissait de m’exprimer sur tout, sur rien, mais sur le vin, parfois en vain, deux milles billets et un peu de fausse monnaie plus tard, ma philosophie de comptoir m’a rattrapé. Après 15 ans à renâcler du vieux à la sortie du goulot, j’ai décidé de tenter une nouvelle approche de la chose vineuse. Un regard philosophique sur le vin. J’ai même pensé à plagier Jean-Paul, Sartre pas Belmondo, et appeler ce blog: « Le litre et le néant ». Néanmoins, la seule question qui me taraude, est : pourquoi associer le vin et la philosophie, fusse-t-elle de comptoir?

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