Philo, espagnolade, hommage et réflexion vineuse

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En cette période de post confinement, à tout bien peser, et le mot est bien choisi, j’ai bien essayé de m’astreindre à de grandes réflexions intellectuelles sur la vie, la mort, la religion, l’amour, la famille, ma place dans la société, l’épanouissement dans le travail, la nature, le réchauffement climatiques ou les nouvelles miches de Nabila, bref, de petits morceaux de métaphysique quotidiens, mais la seule chose qui m’intéresse vraiment, c’est de savourer un agneau noir du Velay cuit dans sa croûte de foin avec une réduction d’œufs brouillés aux truffes et de l’ail en chemise ou une énorme côte de bœuf black Angus maturée avec une béarnaise maison et des frites croustillantes à souhait et salées comme la mer morte. Comme me le répète tous les jours Ranulphe, mon prof de Zumba Groenlandaise, « On ne philosophe bien que le ventre bien plein ». C’est pas faux, mais, comme dans la peinture, le cinéma ou la musique, les artistes ou pseudos artistes d’aujourd’hui cachent trop souvent leur manque d’inspiration, leur misère sous un fumeux étendard : le concept, l’art conceptuel, la philosophie. Et ça marche ! Plus le commentaire est fumeux, nébuleux, plus les marchands font monter la cote et plus les collectionneurs collectionnent et plus le marché marche et plus les prix s’envole comme leur fumeuse théorie.

Quand les vignerons se prennent pour des artistes, ils utilisent les mêmes ridicules artifices et abusent du mot philosophie pour justifier le style de leur vin et surtout son prix. Le vin n’est rien d’autre que le résultat de la fermentation d’un jus de raisin. Ce qui rend le vin si passionnant, c’est qu’il est au croisement exact entre le don de la nature et le savoir-faire humain. La diversité des sols et des climats de notre planète est infinie, mais une seule règle vaut la peine d’inspirer le travail du vigneron, comprendre et respecter ses sols et ses climats pour en tirer le meilleur et faire que le vin exprime sa personnalité avec le plus de fidélité possible. Tout le reste n’est que verbiage et bavardage. Après l’œnologie triomphante et chimique, dans un mouvement de balancier inverse, les idéalistes de la génération suivante, voulant racheter les fautes des pères, ont peut-être donné trop d’importance à la nature. Aujourd’hui, point d’alternative. Soit on est un adepte des vins de luxe, stéréotypés, boisés, parfois bodybuildés, soit on est un adepte du nature, des rebelles du « sans, sans, sans » parfois soumis aux aléas de la vinification. Ils ont tous le même étendard : le concept, la philosophie. On projette dans le vin notre propre goût, nos idéologies et nos préjugés. Ces préjugés qui commandent des généralisations abusives comme « les bordeaux sont ennuyeux » et « seul les Bourgognes respectent le terroir ». Plus pernicieux, les préjugés dictent les commentaires de dégustation et, par voie de conséquence, les notes accordées au vin par les pseudos experts, qui influent évidemment sur le succès ou l’échec commercial du vin concerné.

Le charme des Castillanes, le sourire des Sévillanes et la croupe des Andalouses, un poème d’Aragon… Et une soirée qui s’annonce sous la bannière espingo. En avant pour la corrida, nous sommes en habits de lumière, on a affuté nos banderilles, déployé nos muleta, on s’est entrainé à la véronique inversé à double détente, on a sorti nos épées du dimanche. Petite entorse à la tradition de la corrida, on a choisi de laisser de côté le taureau pour du cochon fumé et cuit. C’est moins dangereux ! Pour ne pas être tenté par mes préjugés, j’ai laissé Jean le soixante-huitard prendre des notes, pour les voler et les détourner à l’insu de son plein-gré. On se commence avec un Champagne salin, tendu avec des notes de calcaire et de pain grillé, Cuvée Papillon Champagne Ruppert-Leroy. Le second champagne est une vieille connaissance, une grande bouteille qui avait été salopée par quelques dégustateurs peu concentrés. Il en fallait de la concentration pour analyser cette concentration de vin, ces bulles fines, cette légère amertume, cette puissance, ces notes beurrées et florales et cette grandes allonge S de Salon 1996. Un Chardonnay tendu, calcaire, avec une belle tension, bourgogne ? Perdu … Clos Windsbuhl Chardonnay 2008 Domaine Zind Humbrecht. Un rosé anisé au nez très grillé, For my Dad Rosé de Rosé 2016 Julien Castell sur des huitres au Perlino, un Riesling américain, amer et racinaire, Riesling Finger Lakes 2015 Forge Cellars et un Etna Bianco, lacté et fromager au début, puis qui s’est ouvert sur des notes de fruits jaunes avec une belle longueur et une petite tension, Calderara Sottana 2014 Tenuda delle Terre Nere. Autre vin avec une toute petite tension, mais avec une touche minérale et des notes de miel et d’épices, Saint-Joseph Les Granits 2004 M. Chapoutier. On termine les blancs sur un beau trio, Domaine de Trévallon 2011, très aromatique, fruits jaunes et fruits exotiques, menthol et anis, gros volume, belle fraicheur, très beau vin. Rioja Cosecha 1994 Vina Tondonia est égale à elle-même, bel oxydatif maitrisé, belle fraicheur, grande profondeur, du fruit, une pointe minérale, finesse et volume, tout ce qu’il faut pour accompagner des gambas au pastis. Nez de truffe blanche, d’aubépine, de miel, d’armagnac, de fruits jaunes et de fleurs blanches, gros volume en bouche, une acidité en retrait mais une belle et longue finale, gros vin, Hermitage ex-voto 2006 E. Guigal.

On passe au chose sérieuse, les rouges et la charcuterie espagnole. Un dicton populaire espagnol résume tout : J’aime le porc, tout le porc ! Chorizos, Lomos, Morcilla, Sobrasada, Fuet, Bellota, les espagnols ont tout compris des tapas. Jamon de mi corazon. Déguster du Jambon Iberico Pata Negra de Jabugo, nourrit au Bellota (gland de chêne), avec un Franc de pied Prephylloxera 2006 Bernard Baudry, sur la pivoine et les fruits noirs, est une belle expérience. Le beaujolais est un vin de saucisson, Fleurie Chapelle des Bois 2009 Domaine Jules Desjourney et Morgon Côte de Py 2013 Jean Foillard l’ont prouvé. On lèche l’assiette avec un magnifique vin ! Géologue de formation, Jean-Yves Bizot, philosophe ésotérique, sait que la terre raconte très souvent de biens belles histoires, des histoires sur la rose fanée, la framboise, la douceur tannique et la fraicheur d’une finale mentholée : Vosne-Romanée 2014 JY Bizot.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la pluma, même badigeonné à l’amer bière, n’a rien à voir avec le porc breton… Ni en goût ni en texture. Le cochon Ibère est intelligent, grâce à un mystérieux mécanisme biologique et génétique qu’il a développé, il emmagasine de grandes quantités de lipides justement produits par les glands. Les lipides s’infiltrent dans la masse musculaire, ce qui lui confère cette onctuosité et cet arôme incomparable. Avec de la Pluma, le bonheur est dans le pré, enfin dans la porcherie. Des cochons qui ne mangent que des glands, c’est extraordinaire et ça explique que tu gardes longtemps le goût du gland en bouche et ça fait remonter de vieux souvenirs. C’est aussi à ce moment que le soixante-huitard chargé des commentaires nous a lâché entre les pattes. Faute de crachoir à disposition, il nous a fait un burnoute sévère. Il n’a pas éclaté une couille, c’est son foie qui est parti en sucette. Il devait avoir l’impression qu’une compagnie de CRS chargeait dans sa tête. Il avait la désagréable impression qu’un troupeau de saumons fumés lui léchait les amygdales, il avait la grâce d’un mérou et les yeux d’un merlan qui comprend qu’il va finir dans la friteuse. Bref, il était HS. Il n’a pas pu apprécier le superbe Bandol Château Vannière 2004, une robe légèrement tuilée, des notes de tabac, de garrigue, de menthe fraiche, une bouche tout en souplesse et en élégance. Même constat pour la Rioja Cosecha 1994 Vina Tondonia, souplesse élégance, arômes tertiaire. Dominik Huber s’investit sans compter depuis 2001 pour produire d’exceptionnels Priorat issus de minuscules parcelles de vignes centenaires. Rendements infimes, quelques 1000 bouteilles seulement, des vins captivants, très mûr, avec de la fraîcheur et de la finesse : Priorat Dits del Terra 2010 Terroir al Limit. Un millésime et un nez exubérant, floral, des notes de garrigue sauvage, de la mûre et des olives. La suivante a une bouche puissante, droite, encore un peu sur l’élevage, des tannins encore un peu fermes mais un ensemble séduisant et encore bien jeune. C’est la cuvée la plus emblématique de la famille Perrin, la cuvée phare de Beaucastel, Châteauneuf Hommage à Jacques Perrin 2007 Château de Beaucastel. Lâché par mon scribe et perdu dans le méandres du service, j’ai un peu beaucoup oublié les deux derniers vins, Mc Laren Vale Cabernet Sauvignon Schirvington 2006 et Rosé d’un Jour 2016 Anjou Mark Angeli, que Bacchus me pardonne.

Il y a toutes sortes de dégustation, amateur, pro, commerciale, horizontale ou verticale, dans toutes sortes de conditions, avec des amis ou des connaissances, avec un ridicule morceau de fromage ou un repas Espano-Pantagruel. La standardisation, l’uniformisation du goût voudrait nous faire croire qu’il n’y a que deux sortes de vins, les bio et les autres. Pour ma pomme, il y a bien deux sortes de vins, ceux que j’aime et les autres. Avec l’âge, on déguste bourgeois, des vins cherchés à la cave comme à la sacristie, dans des Zalto hors de prix, finis les dégustations à l’arrache, on boit entre amis, des grands vins, mais sans se prosterner à genoux, sans renier Dieu même si parfois on crache la sainte hostie. Mais on ne repousse jamais Jamet pour un picrate de moine. Et quand ça arrive, c’est con, mais c’est drôle, la connerie, ça repose, c’est comme le feuillage au milieu des roses. La vraie différence entre un buveur de vin et un amateur de vin, c’est que l’amateur est capable de verbaliser la raison de ses choix, de ses goûts. De poser des mots sur ses sensations, de comprendre, d’affirmer ses choix et de finir par trouver ce qu’il est venu chercher. Alors, pourquoi porter un regard philosophique sur le vin ? C’est tout aussi incongru que de proposer une réflexion portant sur la philosophie du Pepsi-Cola ou de la sardine grillée. Les grands philosophes ont plus consommé qu’écrit sur le vin. Dans Le Banquet de Platon, la consommation de vin est tout sauf modérée. C’est plus un prétexte à se rencontrer, parler, boire et manger qu’un objet de philosophie en soit. Les philosophes n’étaient que des Soiffards avant l’heure. La valeur que nous attribuons à un grand vin a très peu de relation avec sa valeur gustative. Nous ne buvons pas les bons vins pour étancher notre soif ou pour nous rassasier. Ce ne sont pas les qualités nutritionnelles du vin ou ses effets sur la santé qui nous pousse à en boire, cela tient autant à la palette des arômes, qu’à la présence des amis avec qui on le boit et de l’idée qu’on se fait du vin et de la bouffe qui va avec. Il serait bien utile qu’on en revienne à plus de simplicité et plus d’humilité dans nos jugements, en essayant de comprendre puis de traduire l’histoire que chaque vin nous raconte, sans laisser de côté notre esprit critique, mais sans tenir compte de son prix, de sa réputation, de la sympathie ou de l’antipathie que suscitent la personnalité ou les discours de celui qui le produit ou le vend. Alors, quand je serai repu, gras et gavé comme une oie à la Noël, on reparlera de philosophie, de l’infini d’ici-bas et d’ici là, bonne soif à tous.