Amphore et contre tous, le tonneau des Danaïdes

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Non, les Danaïdes n’étaient pas des soiffardes, toujours promptes à aller s’abreuver aux amphores qui trainaient çà et là. Il y a bien longtemps, aux environs de ce qui est aujourd’hui l’Égypte et la Libye, vivait deux frères, Égyptos et Danaos. Le premier a eu cinquante garçons, le veinard, le second cinquante filles, pas de bol, la dot allait être sévèrement burnée, ou pas. À la suite d’une vague dispute de frangin au sujet de l’héritage du dabe, Danaos fuit avec sa nombreuse progéniture en Argolide, située dans la péninsule du Péloponnèse. A peine installé que voilà ti pas que les fils d’Égyptos, les cousins des filles de Danaos, les danaïdes, j’espère que vous suivez, se joignent à eux. Aussi sont sec, si je puis dire, les 50 mecs demandent en mariage les 50 demoiselles. Le daron n’est pas très favorable à ces unions, le banquet risque de lui déplumer le larfeuille. Malin, il fait semblant d’accepter et demande à chacune de ses filles de trucider son époux lors de la nuit de noces. Toutes acceptent, sauf Hypermnestre mariée à Lyncée qui a eu la bonne idée de préserver la virginité de sa future épouse. Plus tard, Lyncée se chargera de trucider son beau-père et ses quarante-neuf cousines entretemps remariées. Cette histoire a tourné au carnage façon « une nuit en enfer » mais, au désespoir de JeanDa, sans Salma Hayek. Mais, c’est bien en enfer que les danaïdes seront envoyées. C’est dans ce charmant lieu de villégiature que, en guise de punition, on leur confia la difficile tâche de remplir sans fin un tonneau au fond percé. Le genre de tâche inutile et interminable, un peu comme Sisyphe et son rocher, une tâche ingrate, à laquelle notre bon docteur Mabuse, si je ne m’abuse, va s’atteler ce soir. Nous verser des vins d’amphore, encore et encore, et ça continue encore et encore ! C’est que le début, d’accord, d’accord ! Et tenter, à l’image des Danaïdes, en vain et contre tous, de remplir notre cerveau inculte et réfractaire aux vins différents.

Il est curieux d’observer les allers-et-retours permanents entre présent et passé en matière de mode, y compris dans le vin. La redécouverte de techniques anciennes, si elles sont bien comprises et utilisées d’une manière censée, apportent probablement quelque chose au vin. Le béton a permis aux vignerons de se passer de vieilles cuves en bois difficiles à nettoyer et coûteuses à remplacer. Puis le béton a été remplacé à son tour par l’acier inoxydable. Les premières vinifications historiques ont très probablement eu lieu dans des contenants en terre cuite, souvent enterrés. Cette technique n’a jamais totalement disparu, car elle reste pratiquée, d’une manière certes marginale, en Géorgie, où on les appelle qvevris, en Espagne ou au Portugal, mais elle a été largement abandonnée par ailleurs. Quelques producteurs, ici et là, remettent cette très ancienne technique au goût du jour pour des types de vins assez variés et avec, parfois, des résultats très intéressants, mais pas que ! Avant de nous plonger dans cette dégustation, je tiens à corriger une erreur étymologique. On entend souvent des vins ainsi produits décrits comme étant des « vins d’amphore ». Le mot amphore, ou amphora, vient de l’ancien grec venant « porter des deux côtés ». Les amphores étaient utilisées pour le transport et le stockage du vin ou d’autres substances liquides. Je ne vois dans les jarres en terre cuite utilisées de nos jours pour la vinification, ni col étroit, ni anses, elles sont beaucoup trop grosses pour être porté, même vide. Non, on ne vinifie pas dans une amphore ! Si nous voulons donner à ces vaisseaux le terme latin, il s’agirait de dolia (dolium au singulier), mais le mot français jarre me semble bien convenir aussi. Vin vinifié en dolia m’irait mieux.

On débute par un PetNat de Laurent Bannwarth, façon « Qvevri », sur le site dudit Bannwarth, j’ai lu ceci :  » Nos vins issus des Qvevris ne ressemble pas au standard habituel des vins alsaciens (sic…). Il faut se laisser gagner par ces vins et sans préjugés ou idées préconçues les déguster et les laisser vous raconter leur histoire. On s’ouvre alors à une autre dimension, à l’essence même du vin à sa dimension mystique« . Je suis plus cartésien que mystique, je suis d’accord avec le fait que cela ne ressemble pas au standard habituel, cela ne ressemble même pas à du vin, et même sans préjugé ou idées préconçues, je cherche encore les qualités de ce vin bière ou de cette bière vin ! Désolé, ce breuvage trouble et oxydé aux arômes de pomme blette et de cidre n’est ni intéressant, ni buvable. Pour suivre un Paciencia du domaine Còsmic Vinyaters à la bouche intéressante, Pan d’Or 2013 du Bouc et la Treille aux notes de citron confit avec une jolie persistance, Numen Fumé Blanc 2013 de Johannes Zillinger, caramel, empyreumatique, grillé et tendue. On continu avec Le Anfore Migiu d’Elena Casadei, gras, terreux mais sans acidité, un Espagnol un peu bizarre, Sicos « Terres Méditeranis » 2015, poivré et peu causant. Au nez, des notes de miel, de grillé, de thé et d’herbes fraîches, de gentiane, en bouche, c’est droit, tendu, net et digeste. Comparé aux précédent, c’est un gap, une péninsule, que dis-je, Fontanasanta Nosiola 2013 d’Elizabetta Foradori, sans conteste à l’origine du plus grand vin actuel de la région montagneuse du Trentin. La preuve que la vinification en Amphore (ou Dolia) peut produire des merveilles.

Ou pas ! Retsina Amphore Nature du Domaine Tetramythos, c’est, si on croit les fils de pub, le vin blanc qui se rapproche le plus de ce que buvaient les grecs de l’Antiquité, les pauvres… À l’époque, on rajoutait de la résine dans les amphores pour qu’elle aide les bouchons à rester hermétiques et le vin à résister à l’oxydation. C’est vrai, pas d’oxydation, mais d’horribles arômes verts, une extraction de rafle qui couvre tout, rien ne va sur cette bouteille. Impossible pour moi de défendre ce vin ! Pas plus que le Savagnin Amphore 2014 de Stéphane Tissot, sur la pomme bière.  On remonte la pente avec un vin orangé, « Un Instant sur Terre » 2017 du vignoble du rêveur (Mathieu Deiss), sur les fruits jaunes, les fleurs et une belle bouche à la finale caramel, mais aussi avec l’Amphore du domaine COS 2017, une belle Sicilienne, fumée, grillée avec une belle matière persistante, Damijan Podversic, une « ribolla gialla » aux notes de caramel, d’épices, de coing et de tourbe. On termine par un vin du berceau des vins d’Amphore, la Géorgie. Pheasant’s Tears, la seule chose que je puis dire, c’est qu’il n’y avait pas que le faisan qui pleurait, c’est exactement le style de vin que je n’aime pas, de la com, beaucoup de com, mais pas de vin ! Les vins de macération, ou « vin orange », sont arrivés sur nos tables à l’improviste et il semblerait que leur trajectoire historique soit aussi éclatée et surprenante que leur manière d’entreprendre nos papilles. Pour obtenir ces vins, il faut toujours des macérations plutôt oxydatives et des maturités de peaux très élevées voire de la surmaturité. Leurs caractéristiques, en termes d’arômes, de saveurs et de textures, ajoutées à la structure tannique créent une nouvelle dimension en termes de dégustation, une grande richesse de possibilités en termes d’accords culinaires, mais, à elles seules, ne garantissent pas la qualité de ces vins.

S’il est vrai que la fermentation en cuves inox accentue la pureté variétale, elle a aussi tendance à produire une certaine acidité brute désagréable et des textures peu développées. La fermentation en barrique permet de son côté à l’oxygénation d’arrondir les bords incisifs d’un jeune vin et d’accélérer l’intégration des textures et des saveurs, mais elle peut aussi entraîner des arômes envahissants et des tanins boisés qui dissimulent et dénaturent la typicité variétale. C’est là que, pour les adeptes des amphores ou dolia, la vinification en jarres de terre cuite intervient, offrant l’effet atténuant apporté par l’oxygénation du bois sans pour autant introduire d’autres arômes ou des tanins. La personnalité du vin puise sa source exclusivement dans le raisin, tout le raisin et rien que le raisin. Enfin, c’est ce qu’on essaie de nous vendre, après les oranges, place à la dégustation des rouges.

Les Fanfans s’amusent, un rouge croquant, gouleyant de JF Ganevat, mais sans plus. Celui de Francesco Cirelli (Abruzzes), sur des notes de rancio et de schnaps, n’est pas plus convaincant. On enchaine, un Amphore 2017 de Stéphane Tissot, un Alma Mater de Lapalu et un « outre-terre » de Thierry Germain sans réussir à me dérider les papilles. Je ne sais plus lequel c’était, mais des notes de bret et de serpillère usagée n’ont jamais fait partie des arômes de bon vin, amphore ou pas. Avec La Guerrerie Qvevri du Clos du Tue-Bœuf, on reparle un peu vin, le Monastrell de Sicus Son’s est puisant et plaisant, sur des notes de violette avec un joli touché de bouche et de la minéralité en finale, alors que le nature de Dufort-Vivens, une minuscule cuvée vinifiée exceptionnellement en amphores de terre cuite, peut-être pas un futur vin culte comme l’annonce Bettane & Desseauve, mais un très bon Margaux, différent (et j’aime ça), sur des notes de cassis, de menthe et de terre fraiche. « Les Dentelles » de Jean-François Ganevat, un improbable assemblage de Grenache et Syrah Jurassien, peu convaincant, « les amours vendangeurs » 2016 du Domaine Foulaquier sur la cerise burlat, le cassis et les épices, et un Volnay Caillerets 2015 du Domaine de la Pousse d’Or, puissant, chocolaté, sur les fruits noirs, l’antithèse du Volnay que j’adore, fin, élégant, soyeux. Faire authentique de façon antique, je veux bien, mais sans dénaturer les canons de l’appellation, ici, on est plus sur le coup de pub qu’autre chose. Je terminerai, même si ce n’était pas le dernier rouge, par le Teroldego Morei 2013 d’Elizabetta Foradori, mention spéciale pour ce vin au nez superbe de cassis, de cerise noire, de cuir, d’épices, de ronce, c’est complexe, la texture est magnifique, c’est frais, croquant, minéral, preuve que le terroir peut également s’exprimer dans un vin nature. On pourrait chipoter sur la longueur du vin et même si je préfère le très classique Granato, c’est une très belle bouteille. La bouteille de la soirée avec le Fontanasanta Nosiola, preuve également du magnifique travail d’Elizabetta Foradori.

La fermentation en jarres de terre cuite n’est pas une panacée pour faire des bons vins. On en a dégusté d’excellents, mais aussi quelques horreurs, il faut aussi le reconnaitre. Je suis persuadé qu’il faut toujours déguster un vin avant de savoir comment il a été fait, le discours sur les potions magiques ou expressions à la mode risquent de dévier notre attention et d’influencer notre jugement (dans les deux sens). La vinification en Dolia, c’est comme le souffre ou le sans soufre, c’est un peu la version pinard de la querelle des Danaïdes. Sauf que là, on ne sait pas vraiment qui sont les filles et les garçons, les Anciens et les Modernes. Pour ma part, j’ai toujours penché du côté des vins « sans trop » de soufre ajouté, sans œillères. Je défends, le bon vin, stable, non pas par choix idéologique, mais tout simplement parce que c’est ce qui me plait. Le soufre annihile le vin, mais, pour faire un grand vin « sans soufre ajouté », il faut vraiment être un vigneron d’exception. Il y en a peu ! C’est la même chose pour les vins d’Amphore ou de Dolia. Je vais encore remplir le tonneau des danaïdes des anti-nature, mais il y a toujours un margoulin assez filou pour nous balancer à la gueule un piège absolument énorme dans lequel on va inévitablement tomber. Le marketing, voilà l’ennemi : capter les consommateurs en s’engouffrant dans une brèche, une niche où les chiens du Marketing aboient. Et voilà le sans soufre ou le vin d’Amphore devenu label, argument de vente, rejeton des fils de pub ! Les marketeux qui mettent en avant une technique de production pour vendre leur pinard de la guerre à des bobos avides de bio, les fils de pub vont bientôt vendre du pinard aux enfants en écrivant sur la bouteille : « vin fait avec du bon raisin bien sucré » et un dessin de Mickey en prime ! Si c’est ça le vin de demain, je vais me remettre à boire les bordeaux de grand-papa, boisé comme la forêt Canadienne. Respectez le travail des honnêtes vignerons, arrêtez de prendre le vin en otage. Les amphores, le soufre, le bio, la macération carbonique… Il ne s’agit que d’outils pour façonner un grand vin, ce n’est pas ça qu’il faut mettre en avant, mais les qualités d’un grand vin, sa fraicheur aromatique, son fruit éclatant, sa race, sa profondeur, son terroir qui affleure du verre, sa tension, son équilibre, sa tenue en bouche, sa capacité à défier le temps, alors l’indispensable émotion deviendra une évidence. Il n’y a que deux sortes de vins, ceux que j’aime et ceux que je n’aimerai jamais,  je finirais par une phrase de Coluche : « quand on pense qu’il suffirait que les gens ne l’achètent pas pour que ça ne se vende plus… »